Il était une fois…

Il était une fois une princesse qui épousa son prince et eut beaucoup d’enfants…

Mon histoire aurait pu être celle-ci mais la vie en a décidé autrement…
Je m’appelle Nathalie, je croque la vie et je suis une Aguerrie !

Issue d’une famille aimante de trois enfants (un grand frère de deux  ans de plus et un petit de sept ans de moins), j’ai grandi comme tout enfant. Mon rêve de petite fille : devenir sage-femme et avoir une grande famille. Les bébés, c’étaient tous mes jeux, tous mes espoirs, toute ma vie…

En 1981, je me plains d’une douleur au ventre. J’ai dix ans. Peut être le signe d’une puberté précoce, je devenais une petite femme. Mes douleurs se sont intensifiées. Le docteur pense à un bridage de l’appendicite, opérée deux  ans auparavant, ou des adhérences…
La douleur se fait de plus en plus présente et je finis par me tordre en deux de douleurs et de chagrin. Direction la radio ou peut être une échographie, puis je retourne voir mon docteur.
Les nouvelles sont un peu inquiétantes… On aperçoit une masse imposante dans le bas de mon abdomen mais sans savoir ce que c’est. 
L’hospitalisation s’impose.

Je rentre alors en pédiatrie, dans le vieil hôpital de Pau.
Les portes vitrées sont battantes, les murs blancs et les couloirs tout droits n’ont pas de fin. L’odeur est  prenante et les infirmières souriantes. Personne ne me parle de ce que j’ai, ce sont des conversations de grands.
Je ne suis qu’un lieu de visite de personnes en blouses blanches qui se parlent entre eux…

Je suis dans une chambre à plusieurs lits.
De grandes fenêtres vitrées sont masquées par un film, on ne peut voir la cour mais elles servent à faire venir ma meilleure amie en cachette. On me couvre de cadeaux. Mon voisin de lit est un petit garçon, bien plus petit que moi. On doit lui réparer son zizi et lui mettre le trou au bon endroit… C’est plutôt rigolo son histoire mais il a mal, le pauvre…

Je ne vois pas mes frères : les enfants ne sont pas acceptés dans le service. Le plus grand est hospitalisé dans un autre centre médical pour soigner une scoliose sévère et le petit reste chez des amis. J’ai peu de souvenirs de la présence de mon papa. Mais je me rappelle encore de la bonne odeur des plats  que ma maman m’amenait en douce. Les plateaux-repas n’étaient pas très raffinés…

La décision est prise rapidement de m’opérer. Ils savent qu’il y a  une tumeur imposante mais ils ignorent où la localiser : ovaire, utérus, intestin, vessie… Il faut ouvrir. Ça me fait penser à un Kinder surprise, on ne sait jamais sur quoi on va tomber !

Ils m’ont préparée pour le bloc sans dire un mot, ils m’ont mise sur un brancard et seule une infirmière a eu un sourire à mon égard, histoire de dire que j’étais une personne et pas un meuble !

J’ai parcouru des kilomètres de couloirs avec comme seule vision des cadres carrés éclairants mon passage.
J’avais froid, j’avais peur… Oui, c’est ça : j’avais peur, très peur, et personne pour me tenir la main et me dire que ça allait bien se passer…

Comme dans une fourmilière, tout le monde s’active et encore personne n’a une parole pour moi… Puis on me pose le masque, foutu masque à l’odeur ignoble, et j’ai l’impression de tomber dans un précipice…

Seule chose étrange de cette opération que je n’ai osé le dévoiler qu’une fois, j’ai un souvenir, sûrement un rêve ou un cauchemar : je me vois sur la table d’opération, les médecins sont tous autours de moi, et moi, je suis en suspension au plafond, j’observe la scène, j’essaie de crier mais personne ne m’entend…

Je me réveille doucement dans ma chambre. Je vois ma maman. Elle est assise à coté de moi sur un grand fauteuil en cuir marron. Ils m’ont mise dans une chambre toute seule. Je referme les yeux et me rendors.
Je n’ai pas mal… Et encore ces visites des blouses blanches qui parlent entre grands… Apparemment, maman ne sait toujours rien. 
Puis, le médecin, un grand homme aux cheveux grisonnants dit à ma mère que l’opération s’est bien passée (il me semble que ça a duré plus de huit heures), et qu’ils m’ont enlevé un séminum ovarien. Bon, et bien, s’ils le disent… Pour moi, ça ne veut rien dire, pour ma mère non plus d’ailleurs. Du moment qu’ils l’ont enlevé, me voici guérie, un peu comme une mauvaise grippe qu’on aurait soignée à l’hôpital…

Mais mes misères ne faisaient que commencer. Devait s’ensuivre une «  lymphographie ».
De nouveau, ils m’ont mise sur un brancard et direction une pièce toute noire. Personne ne me parle…
Ah oui !  Il y avait cette infirmière au chignon impeccable, les cheveux tout gris.  Oh ! Elle devait avoir l’âge d’une mamie avec ses belles rides… Elle n’hésite pas à me tenir la main.
La seule chose qu’on m’a dite  c’est de ne pas bouger, même un petit doigt, pour éviter que le produit aille là où il ne faut pas… Mais quel produit ? Qu’est ce qu’on va me faire ?
J’ai peur…
Encore une fois, j’ai très peur mais je ne dis rien et je retiens mes larmes.
Il faut que je sois courageuse… Oui, c’est ça, courageuse !
Cette gentille mamie-infirmière devait se douter de mes peurs, elle avait confectionné dans une boite d’allumettes, une petite poupée qu’elle déposa juste à coté de mon oreille…
Ce qui est terrible, c’est que les secondes deviennent des heures et les minutes durent une éternité quand on a peur et qu’on doit être courageuse.
Ils m’ont incisée  le dessus des pieds d’environ quatre centimètres et m’ont injecté un produit bleu. Je ne sais, encore à l’heure actuelle, ce qu’était vraiment cet examen et c’est bien une chose que je n’ai pas cherché à savoir…

Quand ils m’ont ramené dans ma chambre, j’ai rencontré un médecin extraordinaire. Enfin quelqu’un qui s’adressait à moi. Il a toujours le sourire et quand il franchit la porte, il m’appelle  « Ma princesse Natacha ». Et si c’était lui le prince charmant ?

Ce médecin a eu aussi des mots gentils pour ma maman, car même si elle ne disait rien, ça devait bouillir là-haut ! Il  a pris le temps, un après-midi de répondre à toutes ses questions.
Il lui expliqua ce qu’était un séminum ovarien et pour la première fois, ma mère a entendu le mot cancer. Elle demanda pourquoi on ne lui avait pas dit ce mot là de suite, et s’est vue donner l’explication suivante : « Quand les parents entendent le mot « cancer », ils prennent peur. Certains prendront même la fuite, laissant leurs enfants affronter la maladie seuls ». Comment peuvent-ils faire ça ???

Il lui donna quelques explications sur la suite mais au vu de la taille de la tumeur (1,5 kg) et de son développement anormal, il fallait que je parte à Paris pour le suivi. Il lui expliqua également que des « réunions » de médecins auraient lieu pour discuter de mon cas….
DE MON CAS, PAS DE MOI, la petite fille aux couettes et au joli sourire…

À moi, il ne dit rien. Enfin rien sur le moment.
Il attendra que je quitte l’hôpital pour me voir en consultation et mettre des mots sur mon cas justement.

Je ne sais combien de temps je suis restée à l’hôpital.
Suffisamment longtemps pour acquérir une collection impressionnante de Playmobil, de Barbie et d’habits  pour mon Kiki (Vous savez ? C’est  le petit singe en peluche suçant son pouce. Ce fut le seul compagnon de mes peurs lorsque ma maman partait le soir…)

Avant de quitter l’hôpital, j’ai dû aussi me faire enlever les points. Enfin le point qu’on disait « point américain » : un point en haut, et l’autre 20 cm plus bas en contournant le nombril.
 J’ai détesté les infirmiers qui me disaient de ne pas hurler alors que j’avais tellement mal ; j’ai détesté l’infirmière qui faisait de son mieux,  mais ça accrochait ; et surtout j’ai détesté mon père qui me tenait les poignets  et qui je pense avec du recul, devait souffrir autant que moi…
Là aussi ce fut long, très, très long. Une souffrance atroce qui fit monter ma température à 40° !

Puis le jour de faire mes bagages est arrivé. C’était la fête mais aussi la tristesse de quitter les infirmières qui avaient fait preuve de gentillesse et de beaucoup de patience… Je marchais tant bien que mal avec mes gros pansements sur les pieds.

J’ai  dû faire quelques jours après un retour illico au point de départ car mes cicatrices s’étaient infectées. Mais heureusement, je n’y suis pas restée…

J’ai perdu toute notion du temps…

J’ai dû aller à Tarbes, environ à une vingtaine de kilomètres de chez moi pour me faire tatouer. Pourquoi ? Je ne savais pas, on me disait, je faisais. Et puis, ils ont mis en place un régime sans gluten. Un casse tête pour manger et quelles privations pour une petite fille !

Le quadrillage fait, j’ai commencé ma radiothérapie…
Ignoble endroit où j’ai vu mes premiers « sans-cheveu ». Ces personnes de tous âges  me faisaient peur et ils attendaient comme moi.
Pourquoi étaient-ils là ? Et pourquoi étais-je là moi aussi ? 

Je suis rentrée dans une pièce sombre, avec un gros appareil central, ils m’ont mise sur la table glaciale, m’ont mis un gros tablier et m’ont laissé là, seule, encore une fois sans rien me dire…
J’ai eu peur… J’étais terrorisée et ils me disaient de ne pas bouger… 
J’ai su, il n’y a pas très longtemps que ces séances duraient quelques minutes. Pour moi, elles duraient des heures…

En rentrant chez moi, les premiers effets secondaires se sont très vite invités.
Je vomissais jusqu’au bout de mes tripes, je m’enfonçais dans le sommeil, je sombrais dans les ténèbres… Je n’avais plus le goût à rien. J’enchaînais les rayons et les vomissements… Ce sont là tous mes souvenirs.

Puis, je suis montée à Paris et j’ai vu la Tour Eiffel !
Waouh !!!  Impressionnant !  Tout était si grand !
Un taxi nous amena jusqu’à l’Institut Gustave Roussy.
C’était comme un château fort sur une grande colline. J’étais perturbée et inquiète aussi car je ne savais toujours pas ce que je faisais là…. Le pont levis se baissa, ou plutôt les portes vitrées se sont ouvertes. Il y en avait plusieurs mais une fois qu’elles se sont fermées derrière moi, j’ai cru être dans un autre monde… C’était immense avec des magasins et une odeur bizarre. Je pensais qu’on me coupait du monde extérieur….
9ème étage en quelques secondes d’ascenseur et un stress bien caché derrière mon sourire. Ce qui me choqua c’est que cette fois, les « sans-cheveux » étaient des enfants, comme moi et même plus petit. Ils étaient branchés et se baladaient avec leurs perfusions…

Et me voici pour la première fois en face du Docteur Patte.
Elle m’ausculta puis posa sur la table un gros dossier. Mon nom était dessus. Elle me dit de m’asseoir dans la salle d’attente,  prit mes parents dans son bureau et ferma la porte. Mais quel secret avait-elle à leur dire ?
Pendant ce temps là, je regardais les enfants qui déambulaient avec leurs perfusions dans les couloirs. Je souriais mais j’avais peur.

Les visites à l’IGR sont devenues un rituel : tous les mois, trois mois, six mois… Jusqu’au jour où le docteur Patte m’a souhaité une bonne route. Elle m’a dit qu’elle ne voulait plus me voir ici. Je quittais ce château en verre le cœur léger mais aucunement rassurée sur mon avenir avec mon corps meurtri…

Le docteur Choulot, le prince charmant de mon hôpital palois me convoqua pour une visite : il avait des choses à me dire… Il m’apprit alors que ce que j’avais eu, ça s’appelait cancer, mot tellement insignifiant pour une petite fille de dix ans ! Il m’expliqua que ma tumeur était très grosse et que des morceaux étaient partis au Japon et aux États-Unis.
Waouuuuuh ! J’étais célèbre !
Mais le pire était à venir…
Il me dit que vu l’étendue de la tumeur, on m’avait enlevé un ovaire, une trompe et  qu’en plus (pourquoi faire simple ?) j’avais une déformation congénitale de l’utérus. Le compte rendu opératoire disait qu’ils n’avaient trouvé qu’un fin tissu utérin. Il me signifia alors, que je ne pourrai pas avoir d’enfant…
Je le regardai sans rien dire, sourire aux lèvres,  mais ma souffrance se déversa dans un torrent de larmes.
Elles n’arrêtaient pas de couler et, avec elles, s’envolait  l’espoir d’avoir des enfants, de fonder une famille.
Je n’aurai jamais de bébé.
Il avait beau me dire que lui aussi n’avait pas pu avoir d’enfant et qu’il en avait adopté deux, qu’il était le plus heureux des papas mais voilà… Je n’étais pas lui… Je crois que j’ai pleuré encore beaucoup et longtemps mais cette fois en silence pour ne faire de la peine à personne.

J’ai continué à grandir, mais pas trop car j’ai eu un arrêt de croissance. Mes parents ont refusé les hormones de croissance. Petit  à petit tout s’est remis en route, lentement.

Dans ma tête, j’ai grandi très vite. Peut-être avec moins d’insouciance que les autres enfants de mon âge. J’avais peur du moindre bobo mais j’étais contente de ne pas avoir de règles comme mes copines. À moi la piscine et les vacances à la mer sans ce souci majeur. Par contre, avec mes pieds bleus (ils le sont restés longtemps) et la cicatrice qui m’a coupé le ventre en deux dans toute sa longueur, j’ai eu beaucoup de mal à me mettre en maillot…
Je n’arrivais pas à me projeter dans l’avenir. Je vivais jour après jour.  Alors que mes copines faisaient des projets d’avenir,  moi je voyais tout juste ce que je pouvais faire le lendemain.

Personne ne parlait de ma maladie. C’était un sujet tabou. Quand mes parents en parlaient à d’autres personnes, ils s’assuraient que je ne sois pas là et se taisaient quand j’arrivais. Ils pensaient me protéger, et moi,  je pensais qu’ils me cachaient quelque chose de grave. Quand je soufflais mes bougies, mon seul souhait était de pouvoir souffler celles de l’année d’après…
Le passé était derrière, je me savais différente car j’avais eu une grosse maladie qui était guérie. Je n’en réalisais pas  la gravité.  J’ai mis des années à m’en rendre compte.

Je fuyais les blouses blanches.  Un jour, j’ai trouvé des traces de sang. Ce fut un drame : « C’est sûr ma tumeur est revenue, je suis gravement malade, je vais mourir ! »
J’ai trouvé une gynéco très compréhensive par rapport à mon passé et à mes craintes. Elle dit que c’était  juste des pertes de ce fin tissus utérin…
Et me confirma le fait que je ne pourrai jamais avoir de bébé.
Pffffff… Je le savais et je vivais très bien avec ça puisque je savais que j’allais adopter.

J’ai continué ma petite vie, toujours avec des peurs infondées, mais ça allait.

Puis j’ai connu l’homme qui allait devenir mon époux.
Je crois que  la première chose que lui a dite ma mère  a été que je ne pourrai jamais avoir d’enfant. Sur le coup, j’ai trouvé ça maladroit mais à présent je trouve ça plutôt amusant. Il avait donc le choix : ou il partait pour faire sa vie ailleurs, ou il restait avec moi et mes rêves d’adoption…  L’amour aidant, son choix a été vite fait, nous nous sommes mariés en 2000 !

À dix-neuf ans, j’ai eu un accident de mobylette : une voiture m’a renversée et je fus amenée à l’hôpital par les pompiers. Au final, une contusion rénale et du sang dans les urines ce qui m’a valu une hospitalisation… en pédiatrie ! Mon pédiatre ayant appris mon admission aux urgences, m’a récupérée dans son service.
Dix-neuf ans et en pédiatrie ! Je devais être sûrement la patiente la plus âgée du service.
Il en profita pour me faire passer une écho afin de vérifier que tout allait bien.
Je me souviens du radiologue qui m’a faite passer cette écho. Il était assis à coté de moi et tenait la sonde sur mon ventre. Je n’ai rien dit sur l’absence de ma trompe et de mon ovaire… Disons que j’aimais bien jouer avec ça. C’est stupide mais moi, ça m’amusait. Il farfouilla pendant un moment, très interrogatif sur ce qu’il voyait. Je lui avouai que je n’avais, ni trompe, ni ovaire droit, ni utérus, mais il continua à chercher. Au bout d’un petit moment, il retourna l’écran vers moi et me dit : « Bon, OK, il n’y a pas d’ovaire ni de trompe mais par contre, je vois un utérus, certes de petite taille mais il est là. »

Mon dossier médical fut ressorti, ils ont appelé l’IGR et longuement discuté. J’ai entendu de la part de mon pédiatre : « Bon, qu’un morceau de foie ou de poumon repousse, oui ; mais pour qu’un utérus se reforme, c’est impossible.  Et pourtant il est bien là !  Si je n’avais pas été médecin, j’appellerai ça un miracle. Mais attention, Natacha ma princesse, vu ton passé et tes traitements, tu ne pourras pas avoir d’enfant ». 
Youpiiiiii ! J’étais encore plus différente que les autres,et en plus, j’avais dans mon bidou un miracle ! Une vraie vedette !
Et pour les enfants, pas grave, j’allais en adopter.

À vingt-cinq ans, je n’en pouvais plus d’avoir mal au ventre sans rien avoir. Ma gynéco décide alors de me mettre sous pilule contraceptive juste pour atténuer les douleurs. Elle me confirma encore une fois qu’avec plus de trois ans de rapports non protégés, j’aurai dû avoir au moins un début de grossesse. Donc, pas de grossesse, pas d’enfants.
Mouais. Je sais.
Ce qu’ils peuvent être rabat-joie  ces médecins !

J’avais donc mon ordonnance et je tardais à aller chercher ma première pilule.
Très vite après, j’ai consulté mon médecin de famille pour des symptômes persistants de gastro : vomissements, maux de ventre…
Il me prescrivit une prise de sang comme test de grossesse, au cas où…
HA HA HA HA !  Un test de grossesse ! Quelle blague !!!

J’ai fait ma prise de sang et je l’ai rappelé pour avoir les résultats. Il m’annonça que le test était positif.

J’aurais pu hurler de joie mais ce fut une crise de nerfs qui prit place.
Je pleurais de peur.
C’était impossible !
J’étais terrifiée à l’idée d’être enceinte.

J’ai annoncé la nouvelle à mon futur mari qui ne savait que dire et était aussi terrifié que moi.
Après l’avoir dit à ma maman, j’ai pris la voiture et je suis allée au travail de mon papa. Il mettait en place des boites de petits pois dans une grande surface.
Je lui ai annoncé qu’il allait être papy et pour la première fois, j’ai vu pleurer mon père…

On m’adressa à un gynéco-obstétricien à qui j’ai raconté ma longue histoire. En m’écoutant, je voyais son regard très dubitatif sur les propos que je tenais.
Et lors de la première échographie,  je fis la connaissance avec mon bébé miracle.
Il fit parvenir mon dossier médical de Pau et de l’IGR pour vérifier mes dires et reconnu que c’était une sacré histoire.

Ma grossesse fut très angoissante et extrêmement surveillée. J’avais souvent des prises de sang et des échos. C’était l’angoisse à chaque fois, j’avais tellement peur de la perdre.
Il m’arrivait très souvent  de me lever la nuit. Je posais la télécommande sur mon bidou et j’attendais qu’elle bouge pour pouvoir aller me recoucher sereinement.
Dans les trois  premiers mois, j’ai perdu cinq kilos tellement j’ai été malade mais la grossesse en elle-même, aussi angoissante fut elle, s’est plutôt bien passé.

Caroline a pointé le bout de son nez le 23 janvier 1995 en quatre heures seulement ! Nous étions tellement fiers d’avoir un bébé miracle. Et tellement heureux. Elle allait changer notre vie…

Je ne lui ai jamais trop parlé de mon histoire, encore taboue.  Elle savait juste qu’elle était  un bébé miracle parce que j’avais été gravement malade dans mon enfance et que je ne devais, en théorie,  pas avoir d’enfant.

Nous avons demandé s’il était possible d’avoir un autre enfant mais on nous l’a fortement déconseillé par peur de fausse couche, malformation ou handicap. Nous avions déjà une fille en bonne santé, nous étions donc des parents les plus heureux du monde…
Nous avons décidé de suivre ce conseil.

Je n’ai jamais trop parlé de mon cancer, peut-être par pudeur, peut-être parce que je voulais que cette souffrance reste sous une grosse pierre que personne, ni même moi, ne pourrait soulever…
Mais il y cinq ans, alors que je regardais la télévision, j’ai entendu un appel à témoin pour  l’émission de Jean Luc Delarue, Toute une histoire.
J’adorais cette émission,  j’écoutais les témoignages de gens si exceptionnels…
Le thème était : « Après avoir frôlé la mort, elles ont donné la vie ».  Mais ? Ils parlaient de moi ! C’était mon histoire et c’était aussi le moyen de la faire connaître à toutes les personnes de mon entourage. Alors, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai écrit  mon histoire (un peu comme aujourd’hui mais moins détaillée) et j’ai envoyé ça par mail sans trop y croire. En fait, était-elle si exceptionnelle que ça mon histoire ?

Deux jours plus tard, je recevais un coup de téléphone de la production de France 2. Ils étaient  très intéressés.
À nouveau, j’ai passé plus de deux heures à raconter et à répondre à leurs questions. Ils ont également demandé à parler à mes parents, à mon pédiatre et à ma gynéco. Par ailleurs, et afin de ne pas avoir de faux témoignages,  ils voulaient des extraits de mon dossier médical.
J’ai donc demandé à mon médecin de famille et à ma gynéco de me fournir les fameux extraits.
Ce que j’ai lu fit l’effet d’une bombe !
Pour la première fois, je voyais écrit en toutes lettres des mots terribles : cancer, métastases, tumeur, récidives, espérance de guérison, espérance de vie…
Ce fut un cataclysme dans ma tête !
Mais alors c’était donc très grave ce que j’avais  eu… Et personne ne m’avait rien dit !

Des attaques de panique, des crises d’angoisse avec déréalisation, dépersonnalisation se sont invitées dans  mon quotidien !
J’entamais un énorme virage dans ma vie.

Je suis allée témoigner  sur le plateau de Toute une histoire.
C’était un premier pas pour parler enfin de mon cancer.  L’année d’après je tournais la suite avec Sophie Davant, L’histoire continue, pour laquelle ils ont retrouvé mon amie d’enfance que j’avais perdu de vue. 
Cette amie a été là pendant toute la durée de ma maladie. Elle apportait plein de réponses à mes questions sur ce que j’étais, comment j’étais durant ma maladie et mon traitement.
Et à chaque fois, j’avais l’impression de prendre des coups de batte dans la tête.

J’ai entrepris également une psychothérapie pour en finir avec ces crises d’angoisse qui m’empêchaient de vivre.
J’ai pu enfin sortir que malgré le temps, je n’avais jamais fait le deuil de ces enfants que je n’ai pas eus.
J’ai dit à ma mère combien je lui en voulais de ne m’avoir rien dit et combien j’en voulais à tout le monde d’avoir soigné un corps sans  avoir parlé à cette petite fille qui était tétanisée de peur…

Et je crois que je garde le meilleur pour la fin…

J’ai toujours été seule dans la souffrance, dans la maladie, dans mes angoisses, dans mon silence mais un jour, j’ai reçu un courrier m’informant que Les Aguerris tiendraient un colloque à Toulouse et que j’y étais invitée. Fébrilement, j’en ai parlé à ma maman et j’ai beaucoup hésité à venir. J’avais tellement peur de repartir dans un passé si douloureux. Mais j’aime les défis…

Timidement, j’ai participé silencieusement à la conférence du matin.
L’après-midi fut comme une libération : en groupe de parole, j’ai enfin entendu des histoires similaires à la mienne, des ressentis et tellement d’émotions…

Ça y est !
J’étais une Aguerrie !
Et enfin je n’étais plus seule !

2 réponses à “Il était une fois…”

  1. Que dire ? Sinon que c’est une sacré bataille de guerre qu’elle a gagné.

  2. Il y a beaucoup de vrai dans ce que vous écrivez . Le pire c’est qu’encore aujourd’hui, le mot cancer fait fuir ceux qui n’en n’ont pas , ou pas encore!
    Moi aussi j’aimais bien cette émission là .
    Un beau témoignage que celui là comme quoi, il faut toujours croire en demain et en ses rêves même les plus improbables.

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