Je suis Stéphanie,
Mon expérience est positive, n’étant plus de suivie, et n’ayant pas de séquelle, si ce n’est, dans une moindre mesure, des séquelles « psychologiques »…
En janvier 1990, j’avais 11 ans, j’étais en 6eme. Pendant une grosse semaine, j’ai eu des douleurs en haut de la jambe, pour lesquelles mon médecin traitant suspectait un « rhume des hanches » ; il nous avait donné la consigne de faire des examens supplémentaires si les symptômes ne passaient pas au bout d’une semaine…
J’ai donc fini à l’hôpital Debrousse, pour une biopsie. Il a été diagnostiqué et annoncé à mes parents que j’avais un lymphome de Burkit ; pathologie qui commençait tout juste, à l’époque, à très bien se soigner (aujourd’hui c’est un très bon pronostic chez l’enfant), mais on ne le savait pas très bien encore.
Il me semble qu’il avait été annoncé à mes parents à ce moment là, quelque chose comme 40% de chance de guérison…
Ça été un raz de marée pour eux.
Hospitalisations, aplasies, ponctions lombaires (mon pire souvenir !), perte d’appétit, nausées et vomissements, régime sans sel (et faux sel dégueulasse !!!), perte des cheveux (qui ne me traumatisait pas plus que ça) et perruque (qui me grattait aussi et n’étant pas très confortable, surtout en plein été !), fatigue, pansements de voie centrale qui me démangeait…
J’ai bénéficié de plusieurs cures de chimiothérapie, et quelques temps de latence à la maison,
Entre les fins de cures et les périodes d’aplasie.
Le tout a duré 6 mois, ce qui n’est pas grand-chose comparé à d’autres expériences de cancer chez l’enfant…
Pendant les périodes à la maison, on avait un rituel avec Maman : l’appartement était tout en longueur, j’avais donc un genre de cornemuse qui me permettait de l’appeler « en urgence » (n’étant pas capable, n’ayant pas la force, de crier pour l’appeler) pour qu’elle m’apporte vite une cuvette dont j’avais besoin pour vomir ! Je me souviens aussi avoir été peu disciplinée, je devais prendre des cachets que je trouvais infectes, et en en cachette, je ne les avalais pas…
Pendant les journées à l’hôpital je dormais beaucoup, surtout quand ça m’arrangeait, c’est-à-dire quand la « maitresse de l’hôpital » arrivait pour me proposer de travailler !
Je me souviens avoir pas mal regardé le TOP 50 à la télévision à ce moment-là, une chanson représente donc particulièrement cette période pour moi : Sinead O’Connor, Nothing Compares 2U, une chanson magnifique que j’adore!
Je me souviens du déchirement et de mes pleurs, quand Maman qui me rendait visite devait repartir pour s’occuper de mon petit frère (9 ans) et ma petite sœur (3 ans).
Je me souviens de mon espoir de voir mes parents se remettre ensemble, car ils se séparaient depuis l’été précédent… Je reste intimement convaincue que la maladie n’est pas arrivée à ce moment-là de ma vie par hasard, ayant beaucoup souffert de leur séparation.
Je me souviens de mon petit frère qui me regardait par la fenêtre, incrédule, n’ayant pas le droit de me rendre visite…
J’ai assez peu de souvenir du personnel soignant, si ce n’est des deux médecins qui m’ont suivie et me recevaient ensuite en consultations.
A la fin de ces six mois, plusieurs consultations de suivi ont été programmées, j’ai été surveillée pendant cinq ans.
Je n’ai pas fait de rechute.
Un jour un médecin m’a dit que j’étais guérie. On ne m’a jamais parlé de rémission (dans mon souvenir en tout cas). On m’a seulement mise en garde : je ne pourrai peut être pas avoir d’enfants. J’ai donc longtemps imaginé que j’adopterai sans doute des enfants…
Je suis retournée à l’école en septembre, en 5ème. Et au bout d’un mois d’école, on m’a proposé de retourner en 6ème !
Je ne l’ai pas particulièrement mal vécu. Je pense que l’équipe pédagogique voulait bien faire, « pauvre petite »… Mais c’était évidemment une erreur, ayant raté 6 mois d’école !
Aujourd’hui j’ai 38 ans. Je suis mariée depuis bientôt 12 ans. Et j’ai eu trois filles en l’espace de deux ans dont… des jumelles ! Que j’ai eues le plus naturellement possible ! Mes ovaires sont on ne peut plus efficaces !
Lou-Anne a 9 ans, et Jade et Ambre ont 7 ans.
Il y a quelques temps j’ai participé à l’étude SALTO. On m’a alors conseillé d’effectuer un suivi cardiologique, ayant bénéficié de traitements cardio-toxiques. Je fais donc, sereinement, des échographies cardiaques de contrôle, tous les 5 ans.
Je suis devenue une jeune femme dynamique, exigeante, on dit de moi que je n’arrête jamais ! Je suis devenue infirmière, mais c’est un projet que j’avais avant de tomber malade. J’ai du reste travaillé deux ans en hématologie, et fait des remplacements au centre Léon Bérard.
Aujourd’hui j’exerce en tant que formatrice en école d’aide-soignante, et je rêve d’entrer en école des cadres.
Peut-être que je serai donc à nouveau en service de cancérologie dans quelques années, pour encadrer les équipes !
Je compte passer les concours en mars prochain ….
J’ai fait connaissance par hasard il y a deux ans avec Clémentine et Benoit Langue qui ont créé une entreprise de communication, dont les actions sont autour de la maladie cancéreuse de l’enfant. Il s’agit de Dubourdon et Compagnie qui des fresques dans les hôpitaux pédiatriques et édite des livres pour expliquer les maladies, traitements et examens, aux enfants.
Clémentine et Benoit Langue travaillent régulièrement (le monde est tout petit !) avec le Dr Bertrand, à l’IHOP, qui m’a soignée quand j’étais petite ! J’ai donc eu l’opportunité de lui faire une petite lettre pour lui raconter ce que j’étais devenue. Clémentine s’est chargée de la lui faire passer.
La boucle est bouclée !…
Que me reste-t-il de cette expérience ?
Je pense que les personnes qui ont été malades sont des personnes qui inconsciemment, connaissent la valeur de la vie, l’idée qu’elle peut bousculer du jour au lendemain…
Dans les (rares) moments de grande faiblesse, j’avoue que j’ai peur… Soit que la maladie revienne et que cette fois je ne m’en sorte pas… Soit que mes filles soient malades comme je l’ai été. Car je crois que les enfants ont des ressources inestimables, et que c’est alors que nous sommes adultes que les choses sont beaucoup plus difficiles, surtout en tant que parent d’enfant malade… Un seul mot me vient : une terrible impuissance. Voilà ce que j’appelle ma « séquelle psychologique ». La peur.
Il me reste surtout une grande force, une certaine spiritualité, et un gout du « vrai ». Je suis une personne entière, je ne supporte pas de perdre du temps avec des faux semblants. La vie est précieuse, j’ai le profond souhait qu’on fasse en sorte d’être en phase avec sa valeur : l’intégrité, l’envie d’avoir des projets, une certaine créativité, et surtout des relations sincères.
La plus grande douleur a été je crois celle de mes parents qui ont eu à vivre cet évènement avec moi. On en a beaucoup parlé, pendant des années. Maintenant c’est loin derrière moi, la vie a entièrement pris le dessus. Je vais bien.
Je sais que tous les enfants n’ont pas eu ma chance. Je sais que des enfants sont morts alors que j’étais hospitalisée ; j’ai entendu un jour, une maman hurler de douleur. Je sais que d’autres ont gardé des séquelles à vie…
Je sais que j’ai eu cette maladie au bon moment, c’est-à-dire au moment où on savait la soigner. Que j’ai eu des enfants alors que c’était finalement le risque de séquelle qui me concernait.
Oui, j’ai eu beaucoup de chance, et j’ai bien sure beaucoup de gratitude vis-à-vis des médecins et des soignants qui m’ont prise en charge.
Merci de m’avoir donné l’opportunité d’écrire ces quelques lignes !