Les Aguerris est une association d’anciens patients ayant été traités pour un cancer pédiatrique.
Je suis une Aguerrie, j’ai eu un cancer, un sarcum d’Ewing de l’aile iliaque droite en 1992 à l’âge de 16 ans. J’ai eu une chimiothérapie, une autogreffe et une opération orthopédique avec l’ablation de l’aile iliaque droite. Une reconstruction avec un montage orthopédique m’a permis de continuer à marcher. J’ai de la chance d’être considérée comme guérie mais cette guérison s’est malheureusement accompagnée de séquelles orthopédiques.
Après m’être battue contre ce cancer, après le temps de rémission passé, les oncopédiatres m’ont annoncé que j’étais guérie. Il fallait désormais que je reprenne le cours de ma vie et que je vive normalement. Mais qu’est-ce que la normalité après avoir survécu à un cancer pédiatrique ?
Le cours de ma vie reprend, j’achève mes études d’éducatrice spécialisée, j’ai un emploi dans un foyer d’hébergement pour personnes en situation de handicap. Je suis en couple et en 2002, nous décidons d’investir et d’acheter une maison.
Commence le parcours du combattant, le prêt nous est accordé par la banque mais l’assurance pour l’emprunt m’est refusée. Des examens médicaux supplémentaires me sont demandés, ainsi que des attestations de mon oncopédiatre et de mon chirurgien confirmant ma guérison et mentionnant la nécessité de poursuivre une surveillance orthopédique tous les cinq ans.
L’assurance emprunteur m’est accordée avec toutes les garanties (Garantie Décès, Invalidité, Perte Totale et Irréversible d’Autonomie) mais en contrepartie une surprime exorbitante. Je n’ai pas d’autre choix que d’accepter. En calculant le montant de l’assurance, une fois l’emprunt remboursé, le surcoût induit par cette surprime est majeur.
Afin de trouver une alternative à cette assurance très onéreuse, je fais appel à un coursier en assurance à cout acceptable, mais ne garantissant que le risque décès. J’accepte tout de suite afin de réduire le préjudice financier imposé par la première offre d’assurance.
Début 2018, nous décidons d’investir dans un appartement. Je suis persuadée que nous n’aurons pas les mêmes problèmes d’assurance qu’en 2002. Cela fait 26 ans que j’ai eu mon cancer pédiatrique, je n’ai fait aucune rechute, aucune complication orthopédique. Cette situation médicale rassurante est, me semble-t-il, un vrai atout.
En effet, entre 2002 (date de mon premier emprunt) et 2018, des avancées ont eu lieu pour défendre les adultes guéris d’un cancer dans l’enfance, grâce notamment à la convention AERAS entrée en vigueur en janvier 2007 et le « droit à l’oubli » obtenu en février 2017. Je suis persuadée que la loi est de mon côté et que je n’aurai pas de nouveaux problèmes pour obtenir une assurance emprunteur.
La réalité est toute autre, je fais fausse route. C’est un nouveau combat pour l’assurance emprunteur. Celle-ci accepte de m’assurer sans surprime, mais encore une fois pour l’unique garantie, décès. Je suis 26 ans après mon cancer pédiatrique, la loi a évolué, mais je continue à avoir des difficultés pour être assurée. Et j’estime avoir de la chance car je suis en couple. Qu’en serait-il si j’avais été célibataire, serais-je condamnée à ne pas pouvoir investir ?
J’aurais aimé accomplir un autre projet, créer ma propre entreprise. Mais tout reste complexe dans le domaine des assurances. En ayant le statut d’indépendant et ayant eu un cancer pédiatrique, aucune assurance n’acceptera de prendre le risque de m’assurer pour tous les risques de la vie quotidienne (maladie, invalidité, perte d’autonomie,…). Ce cancer pédiatrique reste un vrai frein pour l’épanouissement professionnel.
Le « droit à l’oubli » a permis d’obtenir de vraies avancées pour les adultes ayant eu un cancer pédiatrique mais à la seule condition, qu’il n’y ait aucune séquelle lié au cancer. Il nous est permis d’avoir des droits comme tout à chacun et nous n’avons plus désormais l’obligation de déclarer à l’assurance que nous avons eu un cancer dans l’enfance ou l’adolescence.
L’association Les Aguerris se doit d’informer au mieux les anciens patients qui peuvent être sujets à des complications médicales liées au cancer et aux traitements. Elle s’interroge sur le respect du « droit à l’oubli ». Nous avons toujours des difficultés pour guider les anciens patients présentant des séquelles nécessitant un suivi médical à long terme. Comment répondre aux assurances? Doit-on déclarer que tout va très bien, que nous n’avons pas de séquelles mais qu’une consultation de suivi à long terme tous les cinq ans est nécessaire. Doit-on plutôt laisser cette vérité sous silence ? La consultation de suivi à long terme doit être comprise par les assurances comme un moyen de prévention, de dépistage pour les anciens patients guéris d’un cancer pédiatrique, qui peuvent être sujets à des complications au long terme. Nous devons pouvoir vivre normalement, sans préjudice de notre passé médical de patient guéri d’un cancer pédiatrique. Pourtant, pour certains d’entre nous, ce passé reste un frein à l’épanouissement personnel dans la vie de tous les jours. Si le droit à l’oubli est une avancée majeure, il doit être plus ambitieux, afin d’éviter la double peine d’une histoire douloureuse et d’un présent alourdi par le poids des séquelles que nous renvoie une société non préparée à l’accepter.