Être un enfant ou un ado atteint de cancer, une maladie souvent associée aux  adultes voire  aux personnes âgées, est très difficile. La vie est, en un claquement de doigts, mise entre parenthèse : les petits tracas pourtant si importants, les parents, les frères et sœurs, les copains, l’école passent alors brutalement au second plan.

À l’aide d’un questionnaire, nous avons interrogé des Aguerris (des adultes guéris d’un cancer pédiatrique)  sur les relations entre les copains, l’école et la maladie, et au regard de leurs témoignages, nous avons essayé d’examiner au mieux cette question.

Plus de soixante personnes ont participé. Les histoires sont toujours émouvantes, parfois poignantes. Il est souvent question dans la période de lutte contre la maladie, de l’aspect médical avec des  traitements parfois très lourds, mais jamais assez de l’aspect psychologique qui pourtant joue un rôle essentiel. Les témoignages le montrent bien.

Il s’agissait tout d’abord de savoir quelles étaient les personnes, les activités qui avaient été une aide durant la maladie.

Il ressort que la famille proche (parents pour 80%, frères et sœurs pour 40%) jouent un rôle primordial mais on retrouve également les animaux de compagnie, les copains et l’école dans 20 à 30 % des cas.

L’école


Pour maintenir au mieux le lien avec le milieu scolaire, différentes méthodes  ont pu être mises en place : des cours par correspondance, à domicile (professeurs et associations), par webcam et aussi des cours dans l’enceinte même de l’hôpital.

Lors des périodes charnières  comme le CP, le brevet, le bac ou la fac, poursuivre sa scolarité est d’autant plus important qu’une mauvaise prise en charge peut représenter une barrière à la réussite de ces étapes et impacter l’avenir professionnel.

Des professeurs des matières principales venaient à domicile pour me faire les cours, un projet personnalisé avait été signé avec le collège. Du un pour un, c’était simple, je me sentais privilégiée.
Quand j’étais fatiguée à cause de la chimio ils comprenaient, quand j’étais en forme, les cours se faisaient sans souci.
Même si cette opportunité m’avait été donnée et j’en suis reconnaissante désormais, à l’époque je pensais d’abord à guérir avant tout. J’avais plus l’impression qu’on venait m’embêter qu’autre chose. (Emma, soignée à 13 ans en 2004)

Si tant est que les malades aient pu bénéficier de solutions, cela ne résout pas tout. En effet, la maladie prend  une grande place et soumet les jeunes patients à des problèmes auxquels ils ne devraient pas être confrontés : parfois le rejet des autres qu’ils soient jeunes ou même adultes, un sentiment d’anormalité alors qu’ils désireraient s’intégrer, une faiblesse physique intense liée aux traitements, un besoin sans cesse de devoir se justifier, manque de soutien, de motivation… La coupure totale avec la vie ordinaire est très pesante.

Selon les témoignages reçus, différents aspects ressortent.


Certains sont positifs, car l’école apporte  un épanouissement intellectuel et social. On peut aussi y trouver un sentiment d’accomplissement par les réussites scolaires comme l’obtention d’examen.

En 3ème je n’ai pas pu finir l’année mais j’ai tout de même passé le brevet. Et en seconde, je faisais : matin école Évreux et après midi IGR pour la radiothérapie. (Célia, soignée à 14 ans en 2003)

La notion de « normalité » revient très souvent : beaucoup de témoignages évoquent le un désir d’intégration et de relations normales, où la pitié n’a pas de place.

À 17-18 ans, l’école est un lieu d’apprentissage social avec ses joies et ses peines. Ne pas y être est un vol de la vie. (Morvan, soigné à 17/18 ans en 1997/1998)

L’école est perçue comme une échappatoire ramenant vers la vie d’avant la maladie. Le maintien dans la vie scolaire permet également de “rester dans la course”, de persévérer dans ses objectifs de carrière professionnelle, de pouvoir continuer à entrevoir un “après” la maladie, de maintenir l’espoir de guérison.

Malade en classe de CE2. La maladie m’avait obligé à arrêter mes activités annexes. Il me restait que l’école pour considérer ma vie comme normale vis-à-vis des autres enfants. (Paul-Henri, soigné à 8 ans en 2004)

Les aguerris ont illustré leurs réponses par des anecdotes et des souvenirs.
En plus d’un soutien à la vie scolaire par la récupération des devoirs, les malades reçoivent beaucoup de témoignages d‘affection de leurs camarades et leurs professeurs à travers diverses attentions touchantes et symboliques : des cartes, des petits mots, des visites à domicile, des vidéos, des chansons enregistrées rien que pour eux…

Il était essentiel de garder un lien scolaire pour déjà envisager l’après maladie. Toute ma classe avait enregistré sur des cassettes audio des chansons qu’ils avaient reprises exprès pour moi. (Alexis, soigné à 9 ans, en 1993)

Le jour où j’ai rasé mon crâne, nous l’avions recouvert d’une montagne de chantilly et avions posé une fraise au sommet. On a donné une photo de ce moment à chaque ami de ma classe. Certains m’ont rappelé cette photo qui les avait énormément amusés plusieurs années après. Toujours un bon souvenir ! (Paul-Henri, soigné à 8 ans en 2004)

La réalité est souvent complexe et d’autres aspects plus négatifs ont été rapportés. Les jugements, le rejet notamment à cause de différences physiques dues aux traitements (pas de cheveux, séquelles de chirurgie, fatigue intense…) s’ajoutent  parfois à la lutte contre la maladie, préoccupation première. C’est alors une « double peine », celle qui fait mûrir bien trop vite, à des moments de vie où l’on se construit. L’école, c’est alors la peur du regard des autres, les moqueries, les surnoms mal intentionnés, des phrases blessantes qui ne devraient pas être entendues.  C’est aussi se rendre compte tous les jours que la fatigue rend différent des autres.

La maladie ne m’a pas touché physiquement, j’ai la chance de n’avoir aucune séquelle mais mentalement quelque part dans mon esprit ça reste ; ça m’a énormément marqué notamment à cause des moqueries des autres enfants.
Beaucoup de rejets aussi. Et le fait de ne pas avoir eu d’enfance aussi. Les seuls souvenirs que j’ai de mon enfance sont la maladie. (Eli, soigné à 10/11 ans en 2005/2006)

J’étais en internat dans un lycée mais j’ai souvent dû avoir des périodes d’hospitalisation ; j’avais la chimio entre 12 et 14h en HDJ, ce qui fait que souvent l’après-midi je m’effondrais sur mon bureau en classe.
Un conseiller d’éducation du lycée avait demandé à mes potes de vider mon casier du dortoir, lors d’une absence pour hospitalisation, car il me considérait comme « futur mort » et que je ne reviendrais pas. (Joël soigné à 15 ans en 1984)

Les parents d’élèves de mon école ont voulu empêcher ma réinscription car j’étais trop différente et mon apparence allait choquer leurs enfants. De plus, pour eux, mon cancer était contagieux.
Quand j’ai fini par reprendre l’école. Il m’est arrivé de me faire battre par d’autres enfants de l’école à coup de pieds dans les côtes. (Emeline, soignée à 7 ans en 1997)

Une grande partie de cela pourrait vraiment être évité si le cancer n’était pas si tabou. Il suffit parfois juste d’expliquer les choses pour éviter cette méconnaissance et  cette incompréhension qui peuvent porter préjudice et infliger des chocs laissant des traces durables, surtout lorsque ils arrivent pendant une étape de vie importante comme l’enfance ou l’adolescence.

Le regard des enfants de notre âge est très important et permet de se sentir moins différent en restant scolarisé en dehors du service (dans la mesure du possible).
Mais pour arriver à cela, il faut aussi comprendre la position du professeur qui ne sait pas non plus comment réagir. Ma sœur qui est aujourd’hui enseignante accompagne ses collègues dans cette démarche dans son école lorsque des cas (malheureusement) se présentent.
J’ai eu la chance de pouvoir maintenir un niveau de scolarité qui ne m’a pas pénalisée ! Je n’ai pas redoublé. (Élodie, soignée à 9 ans en 1992)

Il serait bien d’informer d’avantages les autres élèves sur les effets potentiels des traitements (perte de cheveux…) cela éviterait de vivre des situations embarrassantes, comme celle que j’ai pu vivre une fois dont je me souviens très bien où j’ai croisé un de mes meilleurs amis de l’époque en dehors de l’école et au moment où j’allais lui dire bonjour, il m’a demandé qui j’étais. Ce fût assez traumatisant pour moi. (Isabelle, soignée à 15 ans en 2008)

Je crois que l’école ne devrait pas faire perdre un an à un enfant malade.  Ça a été très dur pour moi de redoubler en voyant tous mes amis partis au lycée : double peine.
Et puis comme je ne parlais pas aux nouveaux de la maladie que j’avais eue, je suis passé pour le mauvais élève redoublant (Nicolas, soigné à 14 ans en 1989)

Les copains

Quel rôle jouent-ils  dans tout ça ?
Les copains, c’est d’abord un lien social, une vraie “béquille” pour les jeunes malades. Ils apportent un soutien moral, de l’encouragement, du dépassement de soi, du réconfort. Ils permettent de se changer les idées au vu de la dureté du quotidien. Les témoignages soulignent  que le regard des « vrais amis » reste le même, maladie ou pas.

Mes copines ont fait tout le possible pour me faire vivre cette étape de ma vie comme une fille de 17 ans normale mais elles étaient là aussi quand j’étais mal ou j’avais peur. (Teresa, soignée à 16/17 ans en 1996/97)

Un ami qui est toujours mon meilleur ami est venu me rendre visite chaque jour malgré ma lente descente aux enfers /perte de cheveux /maigreur. Il me tenait au courant des nouvelles du collège et a été pour moi d’une grande importance. (Nicolas, soigné à 14 ans en 1989)

Mes amis venaient me voir à la maison, m’accompagnaient en chimio quand mes parents ne pouvaient pas. Jamais de remarque sur ma perte de cheveux. Ils me regardaient comme avant (leur regard n’avait pas changé). (Virginie, soignée à 18 ans en 1997)

Et pour terminer ?

Nous nous sommes rendus compte que selon l’âge auquel l’on a été malade (petite enfance, enfance ou adolescence) et l’année durant laquelle est survenue la maladie (des années 60 à 2000),  la perception de celle-ci était bien différente, également du fait de l’évolution des prises en charge et des traitements.

Ce qui reste constant,  c’est le désir  de « normalité ». Ce que demande un enfant ou un adolescent malade est de ne pas être étiqueté par le mot cancer. 
C’est tout simplement une enfant ou un ado ordinaire faisant preuve d’un courage extraordinaire au quotidien.

La maladie m’a séparé de mes amis car j’ai vite été isolé. Quelques années plus tard, j’ai croisé le chemin de certains d’entre eux. Ils m’ont interrogé sur ce que j’avais vécu lors de cette période. Grâce à mon témoignage, ils ont pu comprendre ce que j’avais vécu et moi j’ai compris également qu’eux aussi à ce moment ils avaient leur vie d’ado.
Aujourd’hui je n’en veux à personne, car le cancer était une inconnue pour beaucoup d’entre eux, comme pour moi d’ailleurs. On en parlait pas autant et c’était surtout chez les autres.
Il y avait aussi un lien proche de la mort, et surtout on était que des enfants (Romain, soigné à 16 ans en 2000)

Rétrospectivement une sale période jusqu’à la fin du lycée. Je ne pouvais pas tout gérer. La maladie. Les conséquences. Ma situation. L’adolescence. Et vraisemblablement la gestion d’un potentiel qui m’a handicapée jusqu’à mes études supérieures qui m’ont soulagée d’un grand mal-être. (Claire, soignée à 5 ans en 1972/73)

C’est assez difficile d’être ado malade. Quand j’y repense j’étais mieux à l’hôpital que chez moi, car chez moi, aux yeux de tous, j’étais la malade. À l’hôpital j’allais souvent parler aux parents d’autres enfants malades, essayer de les rassurer, chose que je ne savais pas faire avec les miens… 
À l’hôpital j’étais une malade qui s’en sortait, qui se battait, toujours pomponnée… Je n’étais pas la malade, j’étais comme les autres et je tâchais de le vivre mieux que les autres…(Angelyne, soignée  à 15 /16 ans en 2004)

En ce qui me concerne, le plus dur a été les « copains » de l’école  APRÈS la maladie; particulièrement au collège. (Caroline, soignée à 4 ans en 1980/1981)

                       Célia, fière d’être une aguerrie

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